Clara elle est comme Bébé. Elle est dans la bande à Lilly depuis qu'elle a passé son brevet. Et comme Bébé elle quitte l'équipe juste avant que ça pète. Ch'erais Lilly je garderais toute la bande sous le coude, parce que là, à chaque fois qu'y en a un qui se casse, il ouvre sa gueule & lâche tout & n'importe quoi. Avec tout ce qu'y jettent sur le carreau on va finir par croire que celui qui tient la cuisine de la maison est un nul de compétition, un salisseur de vaisselle comme on en trouve plus. Sauf dans les tortorants amerloques, mais eux y goupinent vite pour faire du chiffre ; ce qui compte c'est pas ce qu'y a dans l'assiette, c'est ce qu'y a dans la caisse.
Bref, Clara prend ses cliques & ses claques avec une poignée de main pleine de biftons de la part de la daronne. Autant Bébé on sait ce qu'y veut faire avec ce qu'il a encaissé, autant Clara on a pas encore une idée. Elle est à mi-temps chez les pandores depuis qu'elle a ouvert son moulin. C'est dur d'aller planter sa tente ailleurs quand on a les condés dans les reins.
Histoire de niquer Bébé sur le nombre de fois où on cause d'elle sur le papier, Clara aboie à tue-tête. Son truc ce sont les grands-livres & elle s'est cassée avec son brouillon. Ce qui fait qu'elle aussi elle a plein de conneries sous le coude. Le truc c'est que ce qu'elle a c'est dans le désordre & ça donne dans le genre : mardi matin Madame Lilly me demande de passer à la pompe à flouze & ramener tout ce qu'elle peut porter, mercredi soir Madame rencontre Riri.
Conclusion du journaleux de base : la vieille a filé un paquet de tunes à Riri. Conclusion d'un perdreau de base, avant de voir le ministre, elle a fait ses provisions ; alors zéro partout balle au centre.
De façon plus sérieuse, pour le gratte-papier qu'est payé à la ligne : la daronne a tiré mes deux années de salaire, avec prime & reuteuteu, & le lendemain elle se prend un canon avec celui qu'a les clefs du coffre de la bande à Nico ; c'est clair, elle arrose. Pour le képi de service ça donne : elle prend du cash, beaucoup, mais pas plus que ce qu'elle empoche toutes les heures & elle a un rancart le lendemain : & alors ? En plus, c'est toutes les semaines qu'elle prend autant de monnaie, j'vois pas ce qu'y a de spécial. Sinon faudrait aligner tous ceux avec qui elle a eu un rencard le lendemain où elle a vidé la cracheuse de bifton du coin de la rue. Si on fait ça, on a tous les bonnets de la capitale qui vont y passer.
Là on a mis la loupe sur ce qui fait la différence entre un gars qu'est payé pour écrire & un autre pour lire. Le premier y cherche ce qui va plaire à la rue, le second ce qu'y va raconté à l'enjuponné. On est mal barré j'vous dis. Entre la prose de Bébé & les chansons de Clara on a le droit à des papelards qui racontent tout & n'importe quoi. Remarquez que c'est ça qu'est bien aujourd'hui, on fait dans la presse mieux qu'à l'écran. T'as un nouvel épisode tous les matins & y remettent les pendules à zéro à tous les coups. Lundi Riri est mal barré avec sa greluche qu'est à la solde de Lilly, mardi Riri s'enfonce avec le pognon que son équipe a rendu à la vieille, mercredi c'est Francine qu'attaque tout le monde, jeudi c'est Clara qui lâche que Riri y touchait aussi du flouze, vendredi c'est Bébé & Clara qui ont les fouilles qui débordent, samedi t'as Pousse Bouton qui se pointe pour gueuler après Francine & dimanche c'est calme, les crayons se taillent, les plumes s'affinent & on a le tiercé qui fait la une. Pour une fois, on cause de chevaux qui avancent & pas de juments qui balancent. Encore que si c'était leur croupion qu'elles balançaient...
Je vous ai causé de ceux qui font le plus de boucan ces derniers jours, mais je voudrais dire un ou deux trucs sur les autres parce qu'ils vont peut-être revenir à la charge. On le fait vite parce que je veux pas claquer trop de temps là-dessus. Comme je connais pas encore la fin, j'ai pas envie de les voir arriver comme un cheveu sur la soupe.
Après les gros flingues on a donc des petits-bras qui sont passés par là. Je dis ça comme ça, au passé, parce qu'y sont tous virés de chez Lilly au moment où je vous cause. Dans l'équipe à Lilly, Francis, le Pousse-Bouton, a fait un gros ménage ces derniers temps. En plus de Clara on verra :
Ils ont tous un gros défaut, c'est que c'est des gens que tu les connais tellement & y sont chez toi depuis tellement longtems que tu les vois plus ; tu vas lâcher des trucs qu'y fallait pas. Comme y sont comme tout le monde, ils ont les mirettes & les esgourdes qui fonctionnent avec en plus un bulbe pas en panne qui enregistre ce qui faut & surtout ce qui faut pas. Les souvenirs c'est comme les interdits, moins on doit le savoir meilleur c'est & plus ça reste. À mon avis c'est pour ça que Francis les a tous lourdés. Si ça commence à chauffer dans le coin avec des tirs qui viennent de partout, alors tu lâches ceux en qui t'as pas confiance.
Francis y se sert pas mal dans les stocks à Lilly & puis, avec les années qu'ont passées, il aimerait bien devenir le chef, prendre la place de la vieille.
Ricky fait partie de ces proches du pouvoir qui font bien leur boulot sans faire de bruit. Lui son bouleau c'est d'être le chef de la bande des engraisseurs de pognon pour Lilly. La Lilly, si elle a des gros morceaux de l'Auréole & Neslait elle a quand même besoin de gens qui s'occupent de ça & de ce qui en retombe. Quand tu palpes quelques centaines de patates tous les ans, t'as pas assez de temps pour tout claquer dans l'année. T'as pas non plus assez de temps pour tout compter, alors tu te payes une équipe.
Leur truc c'est de faire en sorte que Lilly conserve le plus son fric pour que ce soit elle qui décide de ce qu'on en fait ; pas Nico & sa bande. C'est pas qu'elle trouve Nico nul, c'est juste qu'elle veut pas que ce soit pas elle. Un exemple : not' gars Nico il a toute une équipe qui se charge de faire tourner l'univers de la croix verte, de la livreuse de gueulards au boucher. Et y en a du peuple dans ce monde là tu sais ; si t'as dix gamins qui bossent t'en auras :
En résumé t'as six gars qui ramènent contre deux qui sont payés pour dépenser. Et ce qui te reste à l'arrivée sert à raquer les vieux, les jeunes, les pas en forme & les glandeurs qu'y soient chez eux ou dans les bureaux du chef. Madame Lilly elle aime pas trop ça, faut dire qu'elle vient du privé & faut pas que les autres foutent leur nez dans ses affaires. C'est pour ça qu'elle a créé un gang avec son mec Dédé, elle leur a filé plus de cinq cents patates, & des nouvelles hein, pas des d'avant le Général. Les gonzes y sont chargés de trouver une bonne maladie qui traîne & ensuite de trouver les pilules qui réparent ; genre le coup de pied au cul qui soigne la flemme. C'est bien comme truc, mais ça plaît pas à tout le monde, ça fait des jaloux.
C'est pour tout ça que Ricky y s'occupe des boîtes de la vieille, celles qui sont les siennes à elle toute seule. Francine la gamine a aussi des billes, mais elle a le droit que de fermer sa gueule. Une des boîtes s'appelle Célymène, c'est le nom qu'avait choisi Dédé en souvenir de la nuit de noces qu'y s'était payé avec Lilly. Y a même le copain Martial qu'en a fait une goualante quelques années plus tard.
Francis on l'appelle Pousse-Bouton parce qu'y se dit photographe. Lui pour un artiste, c'est un artiste. Avec son matos dans la main y vous demande une pose & y vous prend par dessus, par dessous, par devant, par derrière, par tous les côtés. Vous récupérez une croûte qui vous fait dire qu'y faudrait pas faire autant la fête avant de poser. Bref, y fait de l'art avec ton groin. L'est pas nul Pousse-Bouton, juste un peu beaucoup très cher.
C'est un vieux pote de Lilly qu'elle connaît depuis qu'il était jeune, quand ça cognait fort dans les rues de Paname. Vous savez, quand les jeunes qu'étaient supposés se casser le train pour avoir des jolis diplômes à mettre sur les murs, y sont descendus de leurs piaules pour gueuler plein de choses & surtout se fritter avec les képis.
Ces gamins c'étaient des chiards de riches qu'avaient qu'une idée : écouter du bruit en fumant des tiges qui sentaient pas du tout la Gitane. Aller à l'école quand ce que t'as vraiment envie c'est tirer un coup, ça le fait pas. Alors ils se sont mis à hurler, c'est vrai qu'ça fait du bien de gueuler de temps en temps, ça soulage & une fois qu'on l'a fait on cherche plus à cogner. Mais eux y gueulaient contre les chefs ; en vrai y râlaient après leurs vieux, tous les vieux.
Y faisaient la révolution qu'y disaient. Pour que les riches gagnent plus un radis & que les pauvres non plus. Personne encaisse quoi que ce soit, on échange ce qu'on a avec ce qui manque. Bref, y voulaient revenir avant Jésus, le progrès de leur rêve c'était de faire comme autrefois. Le progrès à reculons. Le truc qu'y z'avaient pas compris c'est que une révolution ça veut dire faire un tour complet & ça a pas manqué, quand ils ont fini la révolution on était revenus sur la case départ. Le gros souci qu'on a avec eux c'est qu'en prenant de la bouteille ils ont aussi pris des galons & que maintenant c'est des gars comme ça qui décident pour nous de plein de trucs. Maintenant faut avouer qu'on vote pour eux. S'y sont cons, on vaut pas plus.
Bref, Pousse-Bouton c'était un vieux camarade à Lilly & son mac, y connait plein de gens qui passent tout le temps dans les feuilles de chou pour vendre leur dernier navet.
Riri c'est un gars qu'a avancé sans faire trop de boucan. Je dis « trop » parce qu'à côté de ses collègues c'est un p'tit bras. Il a passé la moitié de son temps chez les privés & l'autre chez les lents.
Quand il était avec la bande d'agents privés, son truc c'était de vérifier si les boss claquaient le fric comme il faut. Par contre, il s'est fait remonter les bretelles quand il a bossé dans les bureaux dans le Nord. Là-bas y faisait péter la carte comme un gamin qu'a pas appris que les additions ça finit en soustractions. Comme quoi c'est pas parce qu'on apprend aux autres qu'on sait le faire soi-même ; un peu comme les entraîneurs d'équipe de France.
Entre ses aller-retour privés-public (privé = avancer, public = reculer) la bande à Chichi lui file les cordons de la bourse. Nico pousse Chichi dehors & Riri le Flouze Brother garde sa chaise. En deux mots : c'est un pro de l'oseille, mais celui des autres. Sa femme Flo, elle bosse aussi côté pognon, mais chez Lilly. Elle est pointue pareil quand on cause pépètes.
C'est la fifille à Dédé & Lilly Betenlond, c'est elle qu'a ouvert le feu. Faut dire que de nos jours c'est plus aussi facile de toucher le pactole. Les antiquités durent très, très longtemps. Avec les bonbons que nous fourguent les sondes, un vioc qu'a pas trop tiré sur le raisin, le trèfle ou la carne, y va te faire un de ces jackpots sur les années... que tu rêves d'en faire autant à Vincennes.
Tel que c'est parti, la fifille va récupérer le romagnol le jour où ses chiards fêteront l'arrivée de poussins chez leurs nains. Attendre d'être arrière-grande-doche pour plus avoir besoin de compter les zéros sur les chèques, c'est pas « top cool » comme y disent les mômes.
Tout est dans le titre. Lilly c'est la gamine à Gégène. Elle s'est entifflée avec feu Betenlond, dit Dédé, le gars à qui le daron avait refilé le guidon. Quand le vioque a eu son compte, elle a récupéré le tas de grisbi & l'affaire était entendue ; elle était calée de chez calée.
Faut avouer qu'y a quelque temps, la daronne a fait un joli coup : elle a fourgué une portion de la boîte de son dabe en échange d'un morceau de chez les pros de la mamelle. Et quand je dis les pros, les gars y sont tellement fortiches sur leur territoire qu'y a pas grand monde qui ose venir les chatouiller. Vous me direz que c'est pas compliqué de faire du beurre avec du lait, mais eux, y font pas du beurre, y se font du beurre !
À l'origine c'était une bicoque qui marchait bien, y a bientôt cent cinquante piges. Le gars Henri était le potard du coin à côté de Genève & il avait inventé la poudre de mamelle. Il a pris sa retraite & fourgué sa boîte pour un bon paquet. Les trois pères qu'on reprit la boutique ont poussé le bouchon plus loin & y sont passés du stade bricolage au niveau compétition internationale.
Tu leur files quelques litres de jus de pis & y vont te sortir une poudre de première. C'est d'ailleurs ça qu'a fait leur fortune, de la blanche pure de chez pure. Avec toutes les patates qu'y-z-ont récoltées y se sont installés dans les quartiers voisins & se font tellement de tuiles que c'est plus de la toiture chez eux, c'est du bunker. Avec ce qu'y z'ont ramassé avec la poudre y se sont mis à racheter & inventer pleins de trucs. Y savent te vendre de quoi boire ou bouffer sous toutes les formes qui existent, poudre, liquide, pâteux, solide, chaud, froid. Là où y sont vraiment forts c'est qu'avec leurs paquets y savent tout te faire ; y'z'en vendent qui te font maigrir & y'en a d'autres qui te font grossir. Tu te payes des gâteries qui te font acheter des ceintures plus longues & quand t'en as marre de filer ta fortune à la boutique de nippes d'en bas & que tu veux que les gars se retournent, y te vendent de quoi te remplir le bide avec du moins bons. C'est pas du vide, mais c'est tout comme.
La Lilly elle est pas bête, c'est maintenant la mieux placée sur ce qui refait les girondes du dehors & du dedans. Elle sait fournir aux dulcinées de quoi se foutre du sucre sur la gaufre, avoir le cuir tendu comme une jeunette & se remplir le bedon sans stocker autant de saindoux qu'une truie bonne pour la casserole.
Faut avouer que côté ronds elle a ce qu'y faut pour se chauffer été comme hiver. Elle en a tellement qu'elle a de la main-d'œuvre qui passe son temps à faire & refaire les additions pour s'assurer qu'y manque pas une bille. Enfin, question bille... c'est dans la catégorie bowling qu'elle joue la Lilly.
J'vais passer un peu de temps sur lui parce qu'il est plus là & que c'est lui qu'est au départ de tout.
Gégène était le gamin d'un fabricant de bricheton qui pratiquait dans le quartier du cherche-midi. J'parle de lui à l'ancien temps vu qu'y s'est chopé la carline y a tellement de lustres qu'on pourrait éclairer Vaugirard sans soucis. Il a vécu dans cette époque ou Marthe faisait des dégâts & les grues, de la débutante à la cendrée, se retrouvaient à la rue. Pour closes, les baraques elles étaient closes.
Avec tout ce monde dehors, les épouses miraient maintenant les marmottes dont on leur avait tant causé. La vérité leur sauta à la tronche. Y-avait de la concurrence & de la sérieuse ; de la domestique & de l'import, tous les goûts dans la pâture. Y fallait maintenant qu'elles revoient leur vernis.
C'est vrai que la Josette elle avait du pain sur la planche si elle voulait que son Robert y regarde pas par la fenêtre. C'est pas qu'un bon rognon au Madère qui va calmer les envies de galipettes du chéri. Et puis, le gars il a envie de nouveauté de temps en temps. C'est « l'habitude qu'est l'origine de lassitude » comme y disent dans les immeubles à moulures.
Gégène qu'avait débuté dans la production de poudres & liquides se dit qu'on pourrait se faire du beurre avec ce paquet de bergères. Y se monta une affaire, L'Auréole, & bossa comme un âne sur cette idée en attaquant le problème par le haut.
Ça faisait un baille qu'y avait du monde dans la sape & y se dit que se refaire la façade serait aussi utile. Y balança sur le marché un lot de rouillardes qui te refaisait le feuillage dans tous les sens. Aplati, en tire-bouchon, de la couleur que tu veux, tu sortais la tête du bidet & t'avais les tifs comme la voisine d'en face ou la pro du bout d'la rue. Y-a pas à dire, avoir de l'Auréole sur la tronche, ça change.
Après s'être fait du beurre avec le crin, le Gégène se remit à la paillasse & sortit de la came pour le reste. Et quand j'vous dis le reste, c'est vraiment tout le reste. De la tronche aux arpions, y'avait tout & n'importe quoi pour n'importe où. De l'apprêt pour lisser la tronche, de la peinture pour avoir les billes de la même couleur que le porte-appas, de la teinture pour être unie des poils du gousset à la moniche... tout, tout, tout.
Ce qui était bien pour lui c'est que sa production marchait avec tout le cheptel. Les daronnes reprennent de la jeunesse, les boutures se disent fleurs, les pros se font passer pour des débutantes en chasse d'un décapsuleur & les hirondelles se présentent comme expertes dans le maniement du goupillon.
En bref, les Jules cocufiaient dans leur paddock avec leur gonzesse ! C'est sûr que les macs ont pas aimé ça. Y-avait tellement de viande sur le marché qu'ils ont dû casser les prix pour tenir le choc.
Bien installé sur le visible & les confrères courant comme des branques derrière lui, Gégène continua son bisenesse. Y se lança sur le tarin avec des poudres qui empêchent de sentir le lapin ou le poisson. Une fois qu'on dégage plus du fétide, on veut donner dans la rose. Pas raté, le Gégène se mit à en vendre. Après toutes les couleurs, toutes les odeurs. L'Auréole ramenait tellement de billes que Gégène faisait ses courses en reprenant les concurrents dans son écurie.
Avec tout ça Gégène a encaissé un paquet de biftons & c'est ce tas de bijoux qu'est la cause de ce qui suit.